A 6 ou 7 ans faites apprendre à lire à votre fils, puis envoyez-le étudier le métier qui lui convient. Si l’enfant est une fille mettez-la à coudre et non à lire, car il n’est pas bon qu’une femme sache lire à moins que vous ne la destiniez au couvent.Paolo Certado - 1320.
Le non accès à l’enseignement, voilà le handicap dont, pendant près de 5 siècles, les femmes artistes ont souffert, les privant :
- de cours de dessin, d’anatomie ou de perspective
- d’initiation à la préparation des couleurs, de modèles, de voyage d’étude
- de confrontation stimulante dans un atelier et de réseaux de vente
Hélas Dieu, pourquoi ne me fais-tu pas naître au monde en masculin sexe !Christine de Pisan vers 1400.
Au Moyen âge les femmes jouissent d’un statut social important : elles filent et tissent, fabriquent les produits de base, pain, bière, conserves de viande, plantes médicinales qu’elles administrent aux malades.
Cependant elles sont en dehors de la vie artistique, concentrée dans les Guildes dont les règlements les exclut.
Seules quelques nonnes enluminent des manuscrits ou illustrent des codex. Dans toute l’Europe on dénombre une dizaine d’artistes femmes dont le nom est connu – et dont l’œuvre a souvent disparu.
A la Renaissance on est témoin d’une réduction de la sphère d’activité des femmes dont les métiers traditionnels sont repris par les hommes et se déplacent vers l’extérieur de la maison.
La vie artistique passe des Guildes aux Académies et aux ateliers dirigés par des Maîtres qui recherchent, en accomplissant de grandes œuvres narratives, une gloire personnelle et la faveur de mécènes.
Les élèves qui les entourent suivent un long apprentissage : dessin, couleur, mathématiques, perspective, nu masculin, anatomie sur les cadavres etc.
Les femmes n’y ont aucun accès : elles n’ont ni le niveau d’études ni la liberté de mouvement qui seraient nécessaires.
Quelques unes d’entre elles échappent, cependant, à cette exclusion. Il s’agit tout d’abord de filles ou femmes de peintres qui, si leur père ou conjoint l’acceptent, par leur milieu familial, accèdent à un atelier. C’est le cas d’Artémisia Gentileschi ou de Lavinia Fontana qui feront toutes deux de brillantes carrières.
Des jeunes filles de familles riches aristocratiques bénéficient également d’un enseignement artistique, si leurs parents le considère nécessaire à leur accomplissement. C’est ainsi que Sofonisba Anguissola sera à la cour d’Espagne peintre et suivante de la reine Isabelle.
On les compte sur les doigts de la main. Elles doivent s’entourer d’une aura de respectabilité, de jeunesse, de chasteté : elles signent « Sofonisba, virgo », « Lavinia , demoiselle, fille de Prospero Fontana »…
Leur art est limité aux portraits, autoportraits, natures mortes et sujets religieux pour lesquels le manque de modèles est un sévère handicap. Sont exclus : fresques, paysages, sculpture ou architecture…
Baldassare Castiglione définit clairement, dans Le Courtisan (1528), le champ d’action d’une femme artiste :
…aussi longtemps qu’elle conserve une douce et délicate tendresse, un air de douceur dans chacun de ses mouvements (…) afin de paraître toujours une femme, sans aucune ressemblance avec un homme, elle est libre de s’orner des plus raffinés accomplissements recommandés aux gentilshommes…
1648 - Louis XIV fonde L’Académie Royale et déclare « accorder sa protection aux artistes sans égard pour la différence de sexe. »
L’enfer est pavé de bonnes résolutions. L’entrée des artistes femmes à l’Académie est, certes, un événement, mais :
- leur nombre est limité à quatre (simultanément)
- elles n’ont pas accès aux classes de dessin et ne peuvent ni enseigner ni occuper de fonctions à l’Académie
- leurs pensions sont très inférieures à celles de leurs collègues masculins
Cependant, avantage précieux, elles ont le droit d’exposer aux Salons. Citons parmi les plus connues :
La Vénitienne Rosalba Carriera (1645-1757) : pastelliste de réputation européenne, elle est dans les années 1720 harcelée de commandes à Paris. A Dresde, l’électeur de Saxe fera construire une galerie pour les 150 pastels d’elle qu’il possède.
Elisabeth Vigée Lebrun (1755-1842) : peintre favori de Marie Antoinette, elle sera en outre membre des académies de Rome, Parme, Bologne, St Petersbourg, Berlin, Genève et Rouen.
La Berlinoise Angelica Kauffman (1755-1819) : elle fait son premier autoportrait à 13 ans. Ses œuvres s’arrachent à prix d’or.
Par ailleurs, des peintres connus comme Greuze ou Regnault ouvrent des académies privées accessibles aux femmes. L’enseignement y est limité, mais là aussi elles ont la possibilité d’exposer. L’influence des femmes dans la société est à son apogée ( salons de Mademoiselle de Lespinasse, de Madame Geoffrin…) Le nombre de femmes artistes croît.
1789 -
Blâme contre la citoyenne Lebrun : elle encourage celles qui voulaient s’occuper de peinture alors qu’elles n’auraient dû s’occuper qu’à broder les ceintures et les capes des officiers de police…Procès verbal du Comité révolutionnaire
La Révolution, après avoir suscité une grande effervescence féminine (Olympe de Gouge rédige une Déclaration des droits de la femme, Condorcet réclame pour elles l’accès à l’instruction, le droit de vote, l’égalité d’autorité dans le couple), sera une époque de régression et de ségrégation.
L’Académie royale devient la Société populaire et républicaine des Arts. Un de ses premiers actes sera d’en exclure les femmes artistes. Elles sont en tout point différentes des hommes, donc elles ne doivent pas exercer les tâches qui reviennent à ceux-ci. Ergo : les femmes peintres sont contre nature. Liberté, égalité, fraternité ?
Le XIX° siècle
…que les hommes s’occupent de tout ce qui touche au grand art, de ce qui exige une conception élevée de l’idéal artistique (…), que les femmes se tiennent aux formes d’art pour lesquelles elles ont toujours marqué leur préférence : le pastel, le portrait, la miniature ou encore la peinture de fleurs, ces travaux minutieux qui conviennent si bien au rôle d’abnégation et de dévouement que toute honnête femme se réjouit de remplir ici-bas et qui est sa religion.Gazette des Beaux Arts 1860 - Du rang des femmes dans les arts
Peu à peu le nombre de femmes artistes augmente, dans une plus large couche de la société. Elles enseignent le dessin comme professeurs ou gouvernantes, vendent leur production dans des boutiques, exposent. Une petite « industrie » du dessin se développe.
Les freins sont toujours puissants, mais le féminisme est en marche avec les écrits de George Sand, les combats des suffragettes américaines. Paris est, au milieu du siècle, le centre du monde artistique. Les artistes femmes s’organisent : petits boulots, chambres partagées, poses… Indépendantes ou dans la mouvance des maîtres de l’Impressionnisme, elles s’appellent :
Rosa Bonheur (1822-1899), peintre animalier de réputation internationale [1]. Comme toutes les femmes depuis l’ordonnance de 1800 [2], elle doit demander à la Préfecture de Police une autorisation (renouvelable tous les 6 mois) lui permettant de "se travestir en homme" (en portant un pantalon, notamment) pour pouvoir travailler dans les abattoirs ou les marchés (cf. son chef d’œuvre le « Marché aux chevaux » de 1853 conservé à New York au Metropolitan Museum).
Berthe Morisot, peintre, modèle et belle-sœur de Manet ; Eva Gonzalès, peintre, modèle et élève de Manet ; Mary Cassatt, peintre, protégée et amie de Degas ; Suzanne Valadon, modèle de Renoir, Puvis de Chavanne, Manet ; Marie Bracquemont, graveur, intime du groupe du bateau lavoir ; Camille Claudel, sculpteur, élève de Rodin.
En 1867 s’ouvre l’Académie Julian seul établissement, mixte, avec l’Académie Colarossi (future grande Chaumière), qui dispense un enseignement sérieux (avec corrections de professeurs reconnus), permettant aux artistes femmes de se présenter au Salon Annuel (seul lieu de "reconnaissance officielle" à l’époque) et de peindre d’après des modèles masculins nus. Mais les femmes doivent, hélas, payer le double pour suivre ces cours…
En 1897 l’Ecole nationale des Beaux-Arts de Paris s’ouvre enfin aux femmes, mais les classes ne sont toujours pas mixtes et elles ne peuvent toujours pas faire de nus d’hommes. Elles passent des concours différents de ceux des élèves hommes.
En 1900, l’école nationale des Beaux-Arts leur sera enfin ouverte sans restrictions.
A l’orée du 20e siècle, voici les idées reçues, les préjugés bien ancrés (certains perdurent encore) contre lesquels Marguerite Jeanne Carpentier, Elise Rieuf, Charlotte Musson, Frédérique Knoeri et les autres, réunies en un phalanstère de femmes peintres, auront à se battre…
Citons :
- la réaction devant une œuvre belle et forte : « C’est beau, pour une femme ! » / « Elle peint comme un homme ! » L’archétype est masculin.
- les femmes ont une sensibilité particulière qui les limite à certains sujets
- le rôle des femmes est d’être des inspiratrices et de réserver leurs forces créatrices à la maternité. Michelet : « L’homme est un cerveau, la femme une matrice. »
- le génie s’exprime quels que soient les obstacles, donc les femmes en sont congénitalement dépourvues - ou alors elles sont "anormales". En parlant de Camille Claudel, Octave Mirbeau écrit : « Elle était tout simplement une grande et merveilleuse artiste (…), quelque chose d’unique, une révolte de la nature : une femme de génie. »